LES SECRETS DES SITES PARODIQUES À SUCCÈS
Une multitude de sites parodiques habitent et agitent la toile. Ensemble, ils cumulent une audience record sur les réseaux sociaux, vecteur essentiel de leur succès. Cette audience est d’ailleurs bien au-delà de celle connue par les médias traditionnels.
Comment ces sites web parodiques et satiriques parviennent-ils à connaître une telle affluence ? Et surtout, pourquoi piègent-ils toujours autant de personnes qui considèrent les informations comme véridiques, alors même que cela fait de nombreuses années qu’ils sont « dénoncés » tant par les sites de fact checking que par les avertissements d’internautes ou encore les cours d’éducation aux médias dispensés ?
La diffusion virale : la clé du succès des sites parodiques
Les sites parodiques ont pour vocation de faire rire et/ou faire réagir. Mais, comme tout site web, ils ont besoin d’une audience, que ce soit pour des raisons économiques (gagner de l’argent) et/ou pour l’ego du créateur du site (un site à fort trafic flatte et motive davantage qu’un site qui n’en connaît pas). Aussi, ils font tout pour connaître le succès. Et le meilleur moyen, rapide et gratuit, c’est la diffusion virale via les réseaux sociaux, le fameux bouche-à-oreille 2.0 version 5G+++ !
Comment connaître le succès sur les réseaux sociaux ?
Pour une diffusion virale sur les réseaux sociaux, il ne suffit pas de publier n’importe quoi, n’importe comment. Il faut déclencher le partage … et les « ♥« .
- Jouer sur l’émotion : l’émotion est la faiblesse ultime de l’humain, la porte d’entrée à toutes les manipulations. Il faut ainsi générer une émotion qui évite à l’internaute de réfléchir et qu’il agisse dans un réflexe pavlovien : « C’est hallucinant, donc je partage ».
- Pour générer ces émotions (colère, tristesse, ébahissement, terreur, etc.), il faut créer des titres ultra-accrocheurs, que ce soit par l’humour clairement affiché (Ex: DEFAKER – NON : être fainéant, ce n’est pas être positif à la Covid-19) ou par le titre putaclic (Ex : « Les parents de mineurs délinquants bénéficieront d’aides sociales complémentaires« , titre qui risque d’énerver tous ceux qui se plaignent du trop grand nombre d’aides sociales versées en France …). Les titres qui permettent à l’internaute de s’identifier (ou d’y reconnaître ses contacts), connaissent également un grand succès (Ex : Des milliers de baigneurs qui ont des piercings se font hameçonner par des pêcheurs chaque année !)
- Les titres des articles sont d’autant plus importants qu’on estime que dans 70% des cas, c’est le seul élément qui est lu. Hé oui, 70% des articles des articles de sites parodiques partagés ne sont pas lus par celui qui les partage ! L’illustration a également son importance puisqu’elle attire l’oeil et génère l’intérêt (il suffit de regarder la ligne éditoriale de tous les médias, qui accordent une part prépondérante à l’image)
Mais connaître le succès peut pousser certains sites parodiques à quelques dérives, et notamment à la fabrique de fake news qui n’ont rien de parodiques, mais qui sont seulement des articles putaclic voire … nuls.
Pourquoi les internautes se font-ils piéger ?
De « The Onion« , créé en 1988 aux Etats-Unis, en passant par le « Gorafi » créé en 2012, jusqu’à aujourd’hui où plusieurs centaines de sites parodiques coexistent, on pourrait se dire que les internautes sont informés et qu’ils ne devraient plus se laisser piéger par les sites parodiques. De plus, depuis 2014 en France, une multitude de sites de fact-checking informent sur la non-véracité des informations des sites d’informations parodiques les plus connus. Aussi, dans la même période, de nombreux cours d’éducation aux médias sur l’esprit critique et les fake news notamment, se sont développés de l’école primaire à l’université. Alors pourquoi les internautes se laissent-ils toujours autant piégés ?
- Les sites parodiques sont piégeux car ils utilisent les codes des médias traditionnels :
- Les articles ressemblent à de véritables articles de presse avec un titre, une accroche, une illustration avec légende, des pseudo-citations, des pseudo-références, etc.
- Une véritable ligne éditoriale et une charte graphique sont mis en place, parfois plus ou moins fortement inspirées de véritables médias
- Ces sites génèrent de l’émotion. Comme nous l’avons écrit dans la partie précédente, l’émotion ne laisse malheureusement pas place à la raison …
- Les biais cognitifs et tout particulièrement les biais de jugement (lire notre article détaillé : « Comment développer son esprit critique ?« ). Notre cerveau nous trompe. En avoir conscience est indispensable pour contribuer à se forger un solide esprit critique.
- L’effet de groupe ou effet de meute. D’autres le partagent, je vais faire pareil, car je fais partie de la team !
- La crédulité. Hé oui, on connaît tous cet ami naïf qui vit dans le monde des bisounours et qui y demeure quoi qu’on fasse!
Cela revient-il à dire que les internautes sont stupides puisqu’ils continuent à croire aux sornettes des sites parodiques ?
Ne généralisons pas. Nombreux sont les internautes qui suivent les articles des sites parodiques et qui les rediffusent en connaissance de cause, tout simplement car ils trouvent cela drôle. Et parfois, cela les fait d’autant plus rire quand l’un de leurs multiples contacts prend cette information au premier degré !
On constate aussi que les fake news connaissent un succès retentissant dans les groupes radicaux, extrémistes, les communautés fermées, les mouvements contestataires. En effet, les articles parodiques, considérés et diffusés comme des informations véridiques, servent à argumenter leur cause. Les informations volontairement exagérées de ces parodies confortent la pensée tout aussi exagérée de ces groupes grâce àdes arguments énormes.
Alors, que faut-il faire ?
- Interdire les sites parodiques ? CERTAINEMENT PAS. Ils sont indispensables dans une démocratie.
- Mieux informer les internautes ? NON. Les sites parodiques s’avouent déjà comme tels (et le doivent impérativement !) pour quiconque ouvre l’oeil. Et les faire chercher l’auteur d’une information est toujours utile !
- Mieux former les internautes ? EVIDEMMENT. L’éducation aux médias est impérative. Les informations parodiques ne sont qu’un exemple, qu’une entrée, dans cette éducation. Mais apprendre à savoir comment se fabrique l’information, d’où elle vient, quel est son but, comment elle peut-être manipulée, etc. est impératif pour former les citoyens de demain, afin qu’ils soient à-même de se forger leur propre opinion de manière mûrement et intelligemment réfléchie.
Les sites parodiques ont pour mission de divertir, se moquer, dénoncer, etc. Mais n’oublions pas qu’ils jouent aussi volontairement avec la crédulité de certains internautes. Et si ces sites parodiques trompent toujours autant, n’est-ce pas aussi parce que les médias véritables qu’ils caricaturent leur ressemblent de plus en plus ?