Peut-on rire de tout ? Cette question est loin d’apporter une réponse évidente. En effet, cela revient à poser la problématique suivante : qu’est-ce que l’humour et à quoi sert-il ?
Voici quelques pistes de réflexion pour nous aider à répondre à cette question “existentielle”.
A quoi l’humour sert-il ?
L’humour présente de multiples fonctions : divertir, dénoncer, critiquer, faire réagir, faire réfléchir, etc.
Le but de l’humour est de détendre et de libérer les esprits tout en contribuant plus ou moins au vivre ensemble. En effet, l’humour permet de faire passer des messages beaucoup plus facilement qu’un texte, un son, une image, une vidéo, etc. Grâce à l’humour, on peut plus facilement communiquer certains faits ou méfaits qui ne passeraient pas par un autre medium “traditionnel”.
Ainsi, il existe différentes formes d’humour afin de pouvoir faire passer tel ou tel message de telle ou telle manière.
Quelles sont les limites de l’humour ?
– De l’humour à la dérive
Les limites de l’humour sont la loi. Ainsi, la loi punit l’humour lorsque celui-ci constitue une injure, de la diffamation ou de l’incitation à la haine raciale et à la discrimination. Toutefois, il n’est pas toujours évident de distinguer quand les limites du légal sont franchies. C’est pourquoi, en cas de procès, les juges s’attachent à étudier l’intention de ce qui a été dit, et pas seulement le sujet abordé.
– Des abus sous couvert d’humour ?
Il n’est pas rare que certaines personnes malintentionnées se cachent derrière l’humour pour diffuser des propos discriminants, haineux, diffamants ou injurieux. C’est pourquoi il convient de bien étudier le discours sous-jacent de tout humoriste, mais également son univers personnel hors humour.
On a le droit de faire preuve d’ironie, de sarcasme, mais se moquer gratuitement ou encore pire, avec de mauvaises intentions ne mérite pas le nom d'”humour” !
– Vers une autocensure ?
Afin d’éviter d’entrer dans des polémiques voire dans des procès, certains humoristes pratiquent l’autocensure tout en préférant parler de politiquement correct. En outre, les plus grands humoristes, c’est-à-dire ceux qui touchent un public vaste, sont très rarement des humoristes qui abordent des sujets graves ou difficiles, ou alors, seulement en marge de leur spectacle.
– L’humour de divertissement et l’humour critique
Plus on est critique, sarcastique, ironique, plus on est susceptible de vexer certaines personnes, plus susceptibles que d’autres. Ainsi, on peut distinguer 2 fonctions de l’humour :
- L’humour populaire (voire populiste) à vocation de divertissement pur (blague, ironie, etc.) ;
- L’humour critique qui vise à dénoncer, critiquer et faire réfléchir (satire, sarcasme, etc.)
Entre ces deux formes, on retrouve la satire sociale, si chère à Desproges ou Coluche !
– Peut-on rire de tous les sujets, y compris sont qui sont tabous, graves ou qui nous affectent personnellement ?
La liberté de penser et la liberté d’expression garantissent à chacun de traiter des faits avec humour. Néanmoins, ces sujets doivent être traités délicatement, avec distance et dérision. En effet, l’humour n’a pas vocation à blesser. Et cela est très difficile pour des sujets graves et délicats. C’est pourquoi l’humour sur les sujets difficiles ne peut être exercé que par des humoristes expérimentés, qui sauront jauger de la possibilité de traiter avec plus de sarcasme ou d”ironie ou non tel ou tel sujet, en fonction de leur public.
A chacun son humour
– Peut-on rire de tout ? Avec n’importe qui ?
Reprenons ces réponses de Pierre Desproges, le 29 septembre 1982 sur France Inter, dans son émission “Tribunal des flagrants délires”.
Pierre Desproges, sans la moindre hésitation, confirme qu’on peut rire de tout. Il est vrai que pouvoir rire de tout, c’est s’autoriser cette liberté absolue indispensable de penser ce qu’on veut.
Mais peut-on rire avec n’importe qui ? Cela est beaucoup plus délicat ! En effet, comme l’explique Desproges, il est “difficile de rire avec un Stalinien ou un terroriste hystérique”. En somme, il est vrai que rire avec des personnes qui n’ont pas d’humour et/ou des pensées extrêmistes semble très compromis … Ainsi, non seulement il revient à l’humoriste de savoir être drôle, mais il convient aussi au public d’être réceptif à l’humour. Si tel n’est pas le cas, l’humour est voué à l’échec voire peut présenter des effets pervers allant jusqu’à la mauvaise interprétation de ce qui n’est en fait qu’humour. « Il vaut mieux rire d’Auschwitz avec un Juif que de jouer au Scrabble avec Klaus Barbie.» comme le dit Desproges …
– Je suis vexé par certains humoristes que je trouve méchant et pas drôles !
Chaque personne perçoit l’humour différemment.
- Il faut savoir que certaines personnes qui se disent humoristes ne sont en fait que des prosélytes qui se cachent derrière l’humour pour propager des valeurs haineuses, discriminantes, injurieuses, etc. ;
- Quant à d’autres humoristes, certains ne sont pas assez subtils, ce qui fait que leur humour vexe. Ils sont seulement de mauvais humoristes ;
- Ensuite, il ne faut pas oublier que chaque humoriste à son style : certains sont ancrés dans la polémique et usent de “violence” dans leur humour pour se faire entendre ;
- Le problème peut également venir de soi : on est tous très sensibles sur certains sujets qui nous affectent voire qui nous touchent personnellement et on ne parvient ainsi pas à faire preuve de dérision sur ceux-ci.
Dans une démocratie, il faut accepter toutes les formes d’humour, y compris les plus dérangeantes. Néanmoins, certaines lignes sont à ne pas franchir : ce sont les limites de la loi. Si un humoriste a de mauvaises intentions qu’il utilise sous couvert de l’humour, alors il ne faut pas parler d’humour, mais de manipulation par l’humour.
Enfin, les humoristes ciblent un public particulier. Ils s’adaptent à ce qu’ils veulent / peuvent entendre. Cette diversité de l’humour est indispensable afin que chacun puisse rire selon ses propres sensibilités.
En conclusion, l’humour a-t-il des limites ?
L’humour a vocation à divertir, dénoncer et/ou faire réagir. A partir du moment où l’on utilise soi-disant l’humour pour colporter des propos haineux, diffamants ou injurieux, il ne s’agit plus d’humour. L’humour doit en effet rassembler et non diviser. L’humour ne doit pas être sectaire.
Pour distinguer ce qui est humour de ce qui ne l’est pas, on s’attache à déterminer l’intention qui prévalait dans le message passé sous couvert de l’humour. Certains “humoristes” surfent d’ailleurs allègrement sur cette frontière et enchaînent des procès que tantôt ils gagnent, tantôt ils perdent …
Ainsi, le vrai humour ne doit ainsi pas connaître de limites dans les sociétés démocratiques, à partir du moment où les intentions de cet humour sont saines.